Sacrifier la Promesse

 

Sacrifier la Promesse

L’histoire est célèbre : ( Gn 22, 1-18 )
Dieu réclame à Abraham le sacrifice de son fils, Isaac.
Elle se trouve aux sources des traditions juive, chrétienne et musulmane.
Abraham vient de quitter sa terre, ses troupeaux, sa parenté, et le voilà confronté à une dépossession plus radicale encore : celle de son fils.
Voilà le père et le fils partis ensemble vers le bûcher du sacrifice.
Mais Isaac interroge : « où est l’agneau pour le sacrifice ?».
Abraham sait qu’il va immoler son fils, répond que Dieu y pourvoira.
Dieu va y pourvoir, mais tout autrement qu’Abraham le pensait. Ce récit fondateur semble celui d’une prise de risque éprouvante, voire stupide, demandée par Dieu à Abraham. Mais qu’en est-il vraiment ?

Pour le psychothérapeute et théologien Emmanuel Schwab, ce récit peut être lu comme celui du renoncement au contrôle d’autrui.
Il y voit une évocation du nécessaire lâcher prise des parents envers leurs enfants. Ici, ce qui doit mourir, c’est l’attachement, l’emprise qu’Abraham projette sur son fils, car cette attitude a une dimension narcissique.
Et pour cela, « nulle nécessité de tuer l’enfant : il est finalement remplacé sur l’autel par un bélier, le père d’un agneau. Ce qu’il s’agit de sacrifier, c’est une paternité possessive et non un fils ». En langage moderne, Dieu demande à Abraham de lâcher prise sur son fils.

Et justement, à la fin, Isaac est délié. Abraham ne le possède plus. Il peut le laisser aller.
Il appelle cet endroit « Dieu voit », car Abraham voit que Dieu est un Père sur lequel on peut compter et qui nous désire libres et vivants.

À travers Abraham, c’est tout un peuple qui dit sa Foi. Ce texte a été écrit environ 1000 ans avant Jésus-Christ et quelques 200 ans après que les Hébreux furent sortis d’Égypte. Les trois jours de marche d’Abraham et de son fils jusqu’à la montagne du bûcher, font écho à la longue marche des Hébreux pour sortir de l’esclavage en Égypte. Même inconnu devant l’avenir, même errance sans savoir, même incertitude inquiète, et au terme, même expérience que Dieu maintient la vie malgré tout. Ceux qui écrivent ce récit le font pour un peuple enfin installé sur une terre, qui s’est donné une Loi et un roi.
Ils lui rappellent que le Dieu d’Abraham est celui des mises en marche, des longues traversées, du non-attachement à ce qui ligote et retient.

Cet Abraham-là est aussi celui de tous les temps, et il sommeille en chacun de nous. Car une partie de nous-mêmes nous pousse à ne pas nous installer dans les certitudes définitives et à oser partir sans savoir où cela nous mène.
Cette prise de risque est la condition pour découvrir, après coup, ce que nous n’avions pas prévu. Y compris un nouveau visage de Dieu !
P. Rémi GALVAN