L’ardente obligation d’agir !
Après deux ans et demi de travaux,
la Commission Indépendante sur les Abus Sexuels dans l’Église
a rendu public son rapport le 5 octobre 2021.
« Tsunami », « bouleversement », « mise en cause » : les formules varient selon les médias.
Toute l’Église est convoquée à l’écoute des victimes.
Toute l’Église est interpellée sur des dysfonctionnements systémiques.
Toute l’Église est invitée à la lecture confiante des évangiles.
Toute l’Église, c’est-à-dire chacun de nous.
Nous concernant tous, il mérite une lecture par chacun de nous et, d’autre part, il nécessitera l’organisation d’échanges et de réflexions dans les jours a venir.
Ce rapport est disponible en ligne sur le site
https://www.ciase.fr/rapport-final/
Pour faciliter l’accès à la lecture du rapport, une version courte de 48 pages a été postée sur le site
Résumé du rapport de la Ciase : Télécharger le résumé du rapport de la Ciase
Télécharger le rapport complet de la commission
Télécharger le recueil de témoignages
Trois ans d’une enquête minutieuse et douloureuse qui a permis de mesurer l’ampleur et la gravité de ces abus, sur des mineurs ou des personnes vulnérables :
on recense 330 000 victimes, depuis 1950, de prêtres ou de laïcs en mission ecclésiale.
Des témoignages, des auditions, des enquêtes en population générale ont permis d’établir un état des lieux dramatique mais aussi de révéler la gestion calamiteuse de ces affaires par l’Eglise catholique : méconnaissance de la gravité des faits, difficulté à écouter et à croire les enfants, souci de protéger les clercs et l’institution, mais aussi silence, parfois, des entourages familiaux ou scolaires etc…
Cette racine du mal, le pape l’avait désignée, en août 2018 dans une Lettre au peuple de Dieu, sous le nom de « cléricalisme », une pratique déviante de l’autorité, trop concentrée, par exemple, sur la personne de l’évêque.
François invitait tous les baptisés à s’engager pour combattre ce fléau qui peut toucher aussi les laïcs dans l’exercice d’un pouvoir.
La mise sur un piédestal du prêtre doit également être interrogée, comme les lacunes de la formation au sacerdoce et le manque de coordination entre diocèses pour éviter des errances de séminaristes « suspects », l’absence de femmes dans les lieux de décision, ou les insuffisances de la justice ecclésiale etc.
Le Président de la CIASE en conclut donc qu’il ne s’agit pas seulement de l’addition de fautes ou de crimes individuels mais de la responsabilité de l’Eglise institutionnelle. Une responsabilité qui doit se traduire par des réformes et des réparations.
Jugeant le travail de la Ciase accompli, il « passe le témoin » à l’Eglise.
« Aux victimes j’exprime ma honte, mon effroi, ainsi que ma détermination à agir avec elles (…) »,
a promis Mgr de Moulins-Beaufort, président de la CEF.
Agir, c’est ce que l’on attend aujourd’hui des responsables de l’Eglise et de nous tous.
Le rapport évoque un certain nombre de pistes que l’ensemble des catholiques doit étudier.
C’est précisément le sens du synode sur la synodalité qui s’est ouvert dimanche dernier pour une première étape diocésaine et nationale.
Il faut que s’organisent la réflexion, le débat, entre femmes et hommes, clercs et laïcs, catholiques pratiquants et catholiques plus éloignés du chœur.
Marcher ensemble, avancer ensemble, progresser ensemble : tel est le sens du mouvement engagé.
Après le rapport de la CIASE, prenons la parole
Face aux échanges et réflexions que suscite ce rapport, nous envisageons sur notre paroisse, l’organisation d’une soirée.
Il nous semble que là où il y a eu abus et maltraitance, il convient de remettre respect et bienveillance.
Il y a parmi nous des victimes, directes ou par ricochet (parents, conjoints, enfants des victimes directes).
Pour que ces échanges puissent se tenir dans ce climat de respect et de bienveillance à leur égard,
il nous parait utile que des personnes rompues aux échanges délicats, douloureux, nous aident à canaliser les paroles qui seront exprimées.
Nous avons pris certains contacts. Leurs retours nous permettront de fixer une date, que nous envisageons avant décembre.
Nous reviendrons prochainement vers vous dès que la date et le lieu seront fixés.
N’ayons pas peur que l’Église change
Voici l’interview de Pierre-Yves Stucki, ( extrait du journal La Croix du 14/10/2021)
La Croix : Après le choc du rapport Sauvé, vous avez, avec d’autres laïcs, appelé à engager les réformes nécessaires : comment agir aujourd’hui ?
Pierre-Yves Stucki : D’abord, n’ayons pas peur que l’Église change. Son histoire est celle d’une succession d’ajustements, avec de grandes réformes.
Il est dans la nature même de l’Église d’œuvrer pour rester fidèle à sa mission dans le monde de son temps, de s’interroger sur sa compréhension de l’Évangile.
Il est ainsi de notre devoir de changer. Mais nous devons le faire ensemble.
Rappelons, à temps et à contretemps, que l’Église est constituée de tous les baptisés, chacun à sa place.
Nous en sommes tous collectivement responsables. Personne ne peut prétendre détenir seul la solution.
Nous la percevrons d’abord en nous mettant à l’écoute des victimes. Ce que décrit le rapport m’horrifie.
Ne pas vouloir changer, c’est finalement nier les faits, cela me semble aussi inimaginable que scandaleux.
La situation est trop grave : ce n’est pas possible de continuer sans changement !
Nous ne savons pas vraiment dans quelle direction aller, mais nous avons la chance d’avoir un pape qui nous invite à faire l’effort de rêver l’avenir.
Aujourd’hui, plus que jamais, il nous faut oser rêver l’avenir.
L’Église doit-elle changer pour rester audible dans la société ?
P.-Y. S. : La mission de l’Église est d’annoncer l’Évangile et l’amour de Dieu, donc de se faire entendre et d’être entendue.
La première exigence qui s’impose à elle, qui la rend crédible, c’est que le comportement personnel et collectif de ceux qui s’en réclament demeure conforme à ce qu’elle annonce. Sinon, parler est inutile.
Or le rapport de la Ciase témoigne d’un écart abyssal, qui ruine sa crédibilité et sape son autorité, entre ce que l’Église prétend être et la manière dont elle pouvait se comporter en interne.
Je crois beaucoup au témoignage silencieux : avant même de parler, c’est l’exemple de votre vie qui dit quelque chose.
Une conversion individuelle mais aussi collective est nécessaire.
Jean-Paul II avait reconnu que collectivement l’Église aussi pouvait être pécheresse.
Craignez-vous que l’Église tarde à engager un processus de réformes ?
P.-Y. S. : Je ne suis pas dans la crainte : Dieu ne nous abandonne pas.
En revanche, je crois que nous avons un devoir au nom de notre mission de chrétiens dans le monde d’aujourd’hui et que nous ne pouvons pas nous dérober.
Le risque réel si l’Église ne change pas, c’est que nous devenions, pour reprendre une expression de Mgr Luc Ravel, archevêque de Strasbourg, une petite secte moralisatrice. Il y aurait un repli autour d’un noyau dur qui vivrait à l’écart de la société et entretiendrait des rapports plus ou moins conflictuels avec elle. Cette Église aurait renoncé à toute prétention de répondre à la mission confiée par le Christ d’annoncer l’Évangile à tous.
Comment alors l’Église peut-elle se réformer ?
P.-Y. S. : Elle doit d’abord aller au bout de sa démarche d’écoute, de vérité et de justice à l’égard des personnes victimes.
Elle doit aussi accepter d’entendre ce que le monde a à lui dire.
Pour l’Église, l’essentiel est d’être fidèle à sa mission et davantage conforme à l’Évangile.
Or, aujourd’hui, nous percevons un écart sur certains points entre sa doctrine et la société qui évolue.
Cette dernière est marquée par une exigence accrue de transparence, alors que dans l’Église la culture du secret reste forte.
De même, sur la place des femmes, la demande est de plus en plus forte dans la société sur la parité ou l’égalité salariale tandis que dans l’Église, qui ne vivrait pas sans l’engagement immense de très nombreuses femmes, beaucoup attestent encore ne pas se sentir reconnues à leur juste valeur.
En restant en marge de ces évolutions, la crédibilité de l’Église est mise à mal.
Pierre-Yves Stucki
Animateur de l’antenne des Semaines sociales de France dans les Yvelines
Parmi les initiateurs d’une mobilisation sur les réseaux sociaux de laïcs engagés,
il soutient un processus de réformes dans l’Église.